MARINA : ARBORESCENCES, par Jean-Paul Gavard-Perret

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à M.N.

  
  


Qui n'est pas poursuivi par le fantôme d'un arbre ? Autour de lui louvoie une forme de volupté. Souvenirs de la caresse du regard sur l'écorce, désert de quelques mots. Marina Nicolaev entre en sa vibration, rebondit sur sa "peau" à cette “ croisée ” impossible des chemins entre terre et ciel. Pénétration et épuisement, faille et présence. Quelque chose dépasse : il ne s'agit pas de remonter le temps mais de le déplacer.

A sa manière l'artiste écorce l'écorce, l'écorche. Elle se laisse emporter à des compressions ou détentes de sa matière ligneuse et si le tronc peut, pour elle, devenir l'axe violent d'un vide, les racines et les branches dans les trames créées par l'artiste donnent une sensation de vertige. L'artisye à une effraction végétale par une autre qu'on nommera plus cosmique.

Au sein de l'atonie de l'arbre elle crée des murmures. Des lignes surgissent une suite de silhouettes affolées qui viennent chatouiller le ciel en partant de la terre où la vie mais aussi la mort sont plantées.

Pour Marina Nicolaev l'arbre est ce qui rend perplexe, interroge, fascine et mine. Ill est bien L’arbre de vie mais parfois l'arbre de vie du vide où se tatoue le temps. L'artiste y voit la perte irréductible et la pérennité qui différencie le travail du deuil et celui de la mélancolie, cette mélancolie particulière où ne peut se reconnaître ce qui a été perdu qu'à travers l’écorce qui fait abîme.

Une voix cryptée résonne contre la matière dure ou plus diaphane dans laquelle la mémoire inconsciente le l'artiste crée des robes de noces. L’arbre imprime ainsi des sortes de symboles d'espérance et de réconciliation. Puisque par essence il attend.

A travers l'arbre Marina Nicolaev tatoue l’écorce du silence. Car ce qui effraye c’est le silence de l’arbre, son calme. Et parfois c'est ses vrombissements et son agitation frénétique. Ce qui effraye c’est notre propre peur de le jamais pouvoir être à sa hauteur.

Entre passé et futur quelque chose se conjugue. Et l'artiste sait qu'aller du tronc aux branches permet un passage, une lente infusion. Peut-être rêve-t-elle de disparaître, de disparaître dedans puisqu'au sein du temps humain l'arbre est le Revenant. Il est la transgression du temps, son ironie physique.

Certes l'artiste sait aussi que l’arbre ne peut l’arrimer ni à la terre, ni au ciel. Il n’est que ce transfert de l’un à l’autre sur l’écorce du temps qu’il dirige plus loin que son origine. Mais à travers lui Marina Nicolaev ressent de manière étouffée un appel. Devant lui elle est muette mais non immobile ou interdite car elle ne lui est pas soumise.

Elle pense à l'arbre de telle sorte que ce ne soit pas en une pensée qui la porte vers lui. S'affronter à sa matière ne possède rien pour elle d’un rituel indécis et flottant ni d’une préoccupation dérisoire. Ses arbres dessinés font ainsi ce que les mots ne font pas. L'artiste sans le savoir y grave des passages par aspiration intime, dépouillement absolu : c'est une manière pour elle de se révolter peut-être contre ce qui l'étouffe, l'asphyxie : l'arbre est son oxygène.

Et c'est à son regard que l’arbre se mesure, obéit, s'enfonce dans l'inconnu d'une vérité à saisir. Alors, à ce point, comment parler encore de l'origine ? de la continuité ? de la rupture ? Voir ici (en lui) le plus obscur passé - ou le plus insistant avenir. C'est ce que Marina Nicolaev explore afin que la vie rejoigne ce qui l'a empêché et qu'elle le dépasse.

Ouvrir encore ouvrir ce qui peut s’inscrire dans la clôture infime d'un cri d'oiseau. Sur la courbure de l'arbre, grâce à l'artiste, le soleil glisse, de ténèbre en ténèbre, et par les traits noirs, dans la plus grande clarté.