FRONTIERE. Qui que vous soyez vous êtes. Portrait de Marina. Mon attention, par Jean-Paul Gavard-Perret

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Saveur des mains, réseau d’heures sur l’opale des jours. Elle dresse des racines pour libérer la lame reflet d’une aube nue. Lignes noires afin de jeter la lumière en dentelles contre l’ombre.
 
Déchirée dans l’appel muet, presque impossible. Laiteuse elle devient la gerbe et porte sa maison. Mais de la vie suppliciée revient l’enfant en elle d’au milieu des orties bleues de la mer. Elle les arrache comme la mémoire à sa chair.
 
Drap ouvert à l’attente lorsqu’elle ferme le livre où chaque page blanche poignarde le cœur. Bouts avides de succion, odeur sauvage du féminin. Sur sa cuisse toute l’eau de la terre et contre la fracture, l’unique lèvre de l’onde.
 
Ne plus porter la mort au feu. Femme acidulée, acidifiée de menthe (dans sa sève les senteurs vertes), cheveux léchés de flammes. Elle est ceinte de sable, les parfums des ravines en gifles sur ses joues.
 
En ses verticales noires, la lumière encercle la nuit . Ouverte par rafales, refermée de plus belle. Elle lave le temps entre l’asphalte et le cri de la meute. Glacée, elle ordonne ses mots à même le vent des jachères. Défi même si jamais l’extinction des brasiers.
 
Elle écarte l’horizon à travers la jungle de ses traits. L’enfant en son ventre étire l’arc-en-ciel du velours de ses doigts. Du mouvement des feuillages au secret de la mer elle appelle les savanes de sa vie, les déserts. Elle vit un à un les battements de cœur de celles et ceux qui firent sa vie un cristal.
 
Demain tel un raisin croulant de graines ? Un sel éclaté en givre que les os et les peaux retiennent ? Soleil éventré,  ruissellement d’elle. Par les doigts magiques de ses lignes elle noue et renoue l’ivraie comme l’ivresse du monde. Venue d’un pays où jaillissaient les eaux d’un mouvement de lèvres, elle reste la femme enduite d’aurore au mutisme obligé.
 
Ses lignes élèvent leur lanterne. Algues, coupures de l’ombre. Quelque part un homme tire encore son filet d’agonie. Comme un poisson dans le piège. Quel couteau pour l’en sortir tandis qu’elle s’écrase le cœur ?
 
Faut-il qu’elle touche sa vulve pour vomir sur celui qui est parti en murant ses fenêtres ? Mais celles-ci reviennent, grimpent sur les murs. Tiédeur même si les visages surgissent encore des sables en buée imprécise.
 
Quelqu’un lui crie : Nomme le, n’écoute pas le noir, sinon celui de tes traits dont peut venir l’oubli. Elle est la femme qui lave chaque vague,  avec en mains la battoir de ses pages.
 
Un jour la mer entra entre ses cuisses : aucun homme n’avait jamais procuré ça. Pâle et prise d’aube, sa gorge fractura le mutisme, portée au milieu de l’eau par ses arbres qui montent encore dans ses images.
 
Peu à peu la vieille côte s’éloigne, le désert reverdit. Elle chante des gouttes blanches dans ce qui tient encore d’un rêve de larmes. Elle réinvente une terre et un passage.  Elle perd un à un les mots qui tuent. Elle offre à sa vie un temps de porcelaine.
 
L’ombre se desserre de sa nuque. A la nuit elle vole une corbeille de figues, ses bras s’apaisent. Gris d’estampe entre le réel et le rêve. Le vent pousse le sable. Le feu étreint le maquis. Sa maison résiste de tous ses murs.
 
Hanches nettes, elle parcourt l’avenue et emprisonne ses larmes dans ses poings. Elle dessine un autre arbre de vie, fine chenille d’ombre au creux épousant la lumière. De la pointe du graphite aux feuillets pas de mots : la grammaire dit ses aisselles.
 
Inverser l’ombre, y laisser le côté douloureux qui ne quitte jamais . vieille fatigue de l’espoir.  Réduire le bonheur à l’espace d’un petit coquillage c’est déjà aller de l’avant dit-elle à la mer.
 
Peu à peu elle coud bout à bout l’ensemble de ses ruines pour en refaire sinon son village du moins le frottement des chaises sur le seuils des portes. Elle y écoute le bruissement des voix anciennes mais les cicatrices se ferment. Au delà des fantômes elle retrouve un goût de peau qui traverse sa chair.
 
En rêve elle cherche le loquet de la porte. Fenêtre saisie de lune. Le corps étourdi. Elle retire la nuit ayant assouvi son passé. Elle coule vers l’été.
 
D’autres mains jusqu’à l’ouverture du sang, mots offerts réduits aux lenteurs de la langue. Halètements d’eau. Femme jambes. Pour une nuit de lune lâcher l’encre. Pâleur au cou. La maison tremble. Frisson de peau arraché des larmes. Jet de chair. Pas de taches. Infime virgule d’eau comme une perle pour éclairer l’obscur. Nervure de chair jusqu’à l’aurore. Pour le parfait silence.