("Mesajul" / Madeleine Davidsohn)
La radio et la télévision commencèrent à sonner au même moment, l'épouvantant. « Nahas tefa, nahas tefa ». C'était le signal d'alarme de la guerre du Golfe. Elle ne s'était pas encore habituée à ce son strident, effrayant, qui se mettait en marche lorsqu'on s'y attendait le moins. Une fois c'était dans la salle de bains, une autre fois dans les wc, et même dans la rue, sans plus savoir vers où se diriger. Elle ne s'était pas habituée à l'abri, infime débarras, sans même une place où jeter une aiguille. Elle restait alors blottie sur la dernière marche de l'escalier qui donnait sur le réduit du sous-sol, les genoux serrés au menton, et le masque à gaz aux pieds. L'espace était étroit, il manquait d'air et le masque l'aurait étouffée au lieu de la sauver, en cas d'éventuelle attaque chimique. Un tas de choses usées, amassées pendant toute une vie, gisaient là éparpillées, les unes sur les autres , remplissant cet espace jusqu'à n'en plus pouvoir. La trappe était la seule porte de communication avec l'extérieur.
Dès le premier jour de la guerre, Corinne décida que le masque était superflu. « Si je dois mourir, ce sera à cause des explosions, et on me retrouvera sous les décombres. » pensait-elle. Car, au moins, on pouvait y arriver en un instant. De la chambre à coucher, il suffisait de tirer le verrou de la trappe et on se trouvait immédiatement au sous-sol, comme dans une cachette, à l'abri des gaz, mais avec un maximum de chances de mourir asphixié par manque d'air, ou encore de mourir écrasé, au cas où la baraque s'écroulerait .
Corinne n'habitait dans cette vieille maison que depuis deux mois, lorsque la guerre avait commencé. Deux mois pendant lesquels elle s'était enfin senti libre et heureuse, au bout du calvaire d'un mariage malheureux et d'un épouvantable divorce. Délabrée, fragile comme elle l'était, cette maison était le refuge des premières nuits tranquilles, des premiers jours lumineux, qu'il y eut ou non du soleil dans le ciel. Libre, enfin libre, comme les oiseaux dans le ciel.
En fait, Marius, son ancien mari, n'avait pas été coupable. Elle ne pouvait rien lui reprocher, même si elle avait grandement souffert, et lui avait consacré les plus belles années de sa vie. Marius était malade, et sans doute, la maladie n'était pas une faute. Elle ne le savait pas, elle ne s'y intéressait pas alors, avant le mariage, elle ne pouvait faire de reproches à personne. Pas davantage à sa belle-mère, elle ne pouvait faire de reproches à cette pauvre femme malheureuse. Sa mère ! Elle voulait une garde-malade pour son fils. Elle chercha quelqu'un pour veiller sur les insomnies de son fils, ses peurs, ses crises de dépression, et pour cela… elle était même disposée à payer . Et Corinne… se laissa acheter. Comment une pauvre fille, venue d'un kibboutz du nord du pays, vêtue de sa seule robe et d'une paire de pantoufles, pouvait-elle soupçonner ce qui l'attendait ? Comment pouvait-elle deviner le piège ?
« Ah ! et cette alarme qui n'en finit plus » ! Les pensées l'enveloppaient comme dans une nasse, l'emportaient dans un passé dont elle ne voulait plus se souvenir, qui était encore trop récent pour ne pas en ressentir à nouveau toute l'amertume, toute la souffrance. Les images se déroulaient rapidement, et une fois en marche, il n'y avait pas moyen de les arrêter.
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