Conte onirique, par Dana Mutiu

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Voilà l’histoire que m’a été dite par un homme, un peintre ouzbek, un beau vieux noueux et sec à la manière d’un fier olivier. Le conteur avait un murmure de voix comme un filet d’eau claire qui s’écoule d’une jarre cassée. Parfois sa parole se faisait sifflement et descendait très loin dans un temps qui aurait pu être hier, demain ou un commencement où le souffle du monde était celui d’un jeune serpent affamé.

 

« C’était ici ou là ou peut-être très loin même, dans la maison du voisin, d’un ami, d’un frère, d’un pauvre ou du plus riche.

 

Il y avait un bel homme, ni jeune ni vieux qui avait beaucoup voyagé et connu tellement de femmes, belles, moins belles mais espiègles, blondes comme le soleil, rousses comme le pain sorti du four, sombres comme la prune : toutes les dire, si toutefois il avait pu entièrement se les rappeler, me prendrait des jours et des nuits et je crains le bâillement des étoiles.

 

« Un jour à l’aube il s’en alla au marché. L’histoire ne pas dit comment mais ce qui est sûr, c’est que, chemin faisant, il rencontra un troupeau de chèvres mené par une femme dont il aperçut à peine le visage. Elle était grande et souple, peut-être jeune, peut-être pas, mais elle répandait autour d’elle une telle lumière qu’on aurait voulu s’y plonger, s’y abreuver, s’y baigner. Elle sentait le lait, celui de ses bêtes, les peaux sur lesquelles elle dormait mais aussi les fleurs dont on faisait usage dans ces endroits-là pour se nettoyer les dents après manger.

 

Elle ne le vit pas ce qui l’étonna car il n’était pas habitué à passer sans que son ombre ne touche l’âme de celles qui croisaient sa route ne serait-ce qu’un instant et il tenta de la regarder de plus près. Une chevelure abondante couvrait un visage sans nom et seul un sifflement appela les chèvres à s’arrêter sous un arbre. L’homme s’arrêta aussi et lui demanda :

 

- Que dois-je faire pour te connaître, pour me réjouir de tes eaux et de tes forêts secrètes?

- Tu feras ce que je te dis car moi aussi je veux te connaître et je t’attends depuis la naissance du premier chevreau lors d’un printemps dont je ne me rappelle plus le nom !

 

Et l’homme rentra chez lui, se fit propre, changea les draps de son lit et dormit six mois en regardant nuit après nuit vers sa maison à elle qui était de l’autre côté du lac. Au commencement, il lui en avait voulu. Pourquoi ne se donnait-elle à lui tout de suite car elle le voulait et ça devait se passer, mais quand ? Et si elle se jouait de moi ? Il ressentait une douleur en bas du ventre, du désir inassouvi et sa belle verge se mit à bouger et se leva, l’empêchant de s’endormir. Il était haine et doute. Il se mis à frotter avec force son sexe, sa respiration se fit haletante et puis il eut honte car elle, elle lui traversa l’esprit. Il ralentit le va-et-vient de sa main, qui finit dans une douce caresse. Il avait pitié de lui-même et de sa verge qu’il aimait pour tout le plaisir qu’elle lui avait prodigué tout au long de sa vie (elle touchait bientôt à sa moitié) et parce qu’elle était tout simplement belle, grande, bien formée et enveloppée d’une peaux rose et veloutée, légèrement ourlée. Quand il eut fini de contempler son membre, il le toucha avec amour, de plus en plus tendrement et voulut de tout son cœur qu’il puisse éclater dans un lieu digne de lui : il sut à cet instant-là qu’il voulait préserver sa substance pour elle, la femme aux chèvres. Il s’essuya avec la main droite, recouvrit son sexe et, une larme au coin des yeux, s’endormit au petit matin tandis que les oiseaux se réveillaient.

 

Il dormit six mois sur la rive de sa maison à elle. Il choisit un endroit isolé, dans une clairière et organisa une couche de branche et de feuilles. Les nuits passaient, il avait froid, les couteaux et flèches qui transperçaient son ventre cessèrent d’être douloureux et il ressentait du plaisir à la savoir plus près de lui et l’imaginer nourrir les bêtes, se laver, manger. Chaque nuit sa verge se levait et palpait l’air du bois avec son bout humide qui vibrait comme les cornes d’un escargot et illuminait la clairière, champignon phosphorescent sur lequel se posaient des papillons nocturnes. Ils emportaient sur les pattes de fines gouttes de l’homme qui chantonnait pour prolonger son plaisir et sa joie. Il était léger, vaguement fatigué et se roulait autour de lui-même comme un animal pour protéger ce qu’il portait en lui de beau et fort. Nourri par la lumière qui, de sa verge, se répandait dans tout son corps il tombait dans le sommeil et se sentait de plus en plus jeune. Il avait peur de mourir avant la fin mais même la mort lui paraissait douce et bonne.

 

 

Six mois jour pour jour l’homme sut qu’elle l’invitait dans sa cour pour vivre et dormir auprès des bêtes. Il étala une âpre couverture sur la paille et vécut au rythme de la pluie d’automne sur le toit. Il devînt indifférent et toutes les nuits se disait que la femme ne méritait pas tout ceci, qu’elle était comme toutes les autres, comme celles qu’il trouverait sans passer par tous ces états. Toutes les nuits il se disait que celle-là serait la dernière et que demain il prendrait la route en laissant cette femme bizarre derrière lui avec ses chèvres sales et malodorantes. Mais tous les matins au réveil il se mettait à espérer et la certitude d’une chose grande descendait en lui, chatouillant son sexe endormi et paresseux depuis qu’il partageait la couche des chèvres. Il était las, fatigué, sale, les yeux entourés de cernes et ne croyait plus ni en lui ni en elle. Un jour, il prit ses affaires et quitta l’étable, déterminé à ne plus y revenir.

 

Quand il marcha dans la cour il vit la porte de sa maison largement ouverte. Il sentit un tremblement dans ses jambes il hésita, il entra. Un lit propre l’attendait, la maison sentait bon et il pu l’entendre bouger et vivre à l’autre bout de la maison. Un frisson parcourut son corps et ses lèvres s’élargirent en un sourire béat et radieux. Il se sentit beau et fort mais les traces de l’attente ne s’effacèrent qu’au bout de quelques jours quand il vit que personne ne le chassait. Tous les matins une nourriture simple mais saine l’attendait. Il se remplissait de reconnaissance et ce qui s’était logé dans son bas-ventre montait vers la poitrine qui se gonflait dans une respiration ample et libre. Mais voilà, il ne la désirait pas, il l’avait oubliée et dans son bien-être pensait à toutes les autres femmes qu’il aurait une fois cette histoire finie. Il avait oublié sa voix, sa démarche et il lui restait le souvenir trouble d’une masse de cheveux sauvages qui laissaient à peine passer un regard… et quand il pensa ce regard il la voulut : son bas-ventre et sa verge devinrent exigeants.

 

 

Un de ses pires jours de douleur, elle le prit par la main, le baigna et le fit dormir aux pieds de son lit. Les semailles eurent lieu, le blé poussait bien, sa respiration et ses mouvements sentaient le vent d’été qui allume le crépuscule. La proximité d’elle le berçait et il voulut prendre son sein dans la bouche, tantôt l’un, tantôt l’autre en cherchant goulûment à se nourrir du lait qu’elle faisait couler sur lui en se caressant elle-même dans le bain. Toutes les nuits il fût au bord de l’éclat et il crut que son sexe allait exploser en vain mais il réussit à s’abstenir et la force et la douceur lui revinrent en même temps.

 

Toucher lui fût interdit mais elle tua une chèvre, mit la peau dans son lit pour lui. Six autres mois passèrent. Il put porter sa bouche sur cette terre qui attendait et le désir était dispersé en lui du bout des doigts jusqu’à la poitrine. Elle ne parlait pas et il crut bon d’écarter ses jambes pour pénétrer doucement dans son ventre dans le même temps qu’il s’apprêter à absorber son souffle.

A ce moment-là, il se réveilla car depuis le commencement, il avait rêvé à l’ombre d’un arbre sur le chemin du marché au petit matin.

 

 

 

Je vous donnerai peut-être une suite et …….. on peut l’écrire à quatre mains.