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Askern. 23 décembre 1965.Un petit village du Yorkshire, au nord de l’Angleterre. Les rayons orange des lampadaires au sodium se fraient un chemin à travers le brouillard visqueux. Le charbon, les terrils, les fumées âcres et lourdes….la mine est là, omniprésente autour des « cotttages » qu’habitent leurs ouvriers laborieux et qui semblent se resserrer les uns contre les autres pour avoir plus chaud. Devant l’un d’eux, la vieille mini Austin est prête à partir. A l’intérieur, dans le salon chauffé à blanc par l’anthracite du foyer, enfoncé au plus profond d’un fauteuil mœlleux, les pieds plongés dans l’épaisse moquette, j’attends Peter.
Peter Hill, 20 ans. C’est un coureur cycliste amateur, bardé des titres les plus prestigieux dans son pays, qui est arrivé dix mois plus tôt en Normandie par un bel après-midi de février. Grand, blond, les yeux bleus, il est descendu du ferry, à Dieppe, avec son magnifique vélo « Bob Jackson », accompagné d’un journaliste sportif anglais et d’un commerçant- supporter.
J’étais là pour les accueillir et commencer à exercer mon Anglais, à longueur de journée, à la maison, celle de mes parents, qui avaient consenti à héberger ce jeune sportif pendant quelques mois pour qu’il vienne essayer de se faire une carrière dans une Normandie au sommet de la réussite cycliste à l’époque. Très vite en quelques mois, Peter était devenu non seulement « l’attraction » du club de l’Auto Cycle Sottevillais de la grande époque à la tête duquel le tout bon André Boucher gérait la carrière de Jacques Anquetil, Jean Jourden et autres champions du monde récents….mais en juillet il remportait magnifiquement « le Maillot des Jeunes » de Paris- Normandie, après une étourdissante finale contre la montre et en septembre, le Grand Prix de France contre la montre (75km) à Laval , première grande victoire nationale pour lui. Une gloire montante, la sympathie acquise des journalistes et du public, la saison était remarquable et prometteuse pour l’année à venir, la deuxième à passer dans une Normandie qui lui réussissait donc.
Mais il était normal de revenir aux sources, aux racines, familiales surtout, le temps d’un Noël réparateur et annonciateur de bien d’autres satisfactions. C’était aussi l’occasion d’aller en quelque sorte « rendre compte » à celui qui l’avait poussé à tenter une telle expérience en France, son modèle, son inspirateur, son maître, tout auréolé d’un titre de champion du monde professionnel gagné quelques mois auparavant à Sain Sebastian en Espagne, au sprint, devant Rudi Altig, nous voulons parler de Tom Simpson ! Ce dernier habitait à quelques miles d’Askern, le berceau familial de Peter Et ce soir du 23 décembre 1965, Peter et moi, nous apprêtions à aller saluer le grand Tom, au moins pour lui souhaiter un « Merry Christmas », au mieux pour le rassurer sur cette première année de carrière cycliste en Normandie.
La mini Austin cahota à travers une campagne couleur « Hauts de Hurlevent » ! Peter se gara devant un petit cottage de Harworth, plutôt coquet et typiquement anglais. Le sapin de Noël était allumé dans l’avancée vitrée. Peter fit chanter le carillon électrique. Mme Simpson, « Helen », vint nous ouvrir. Brune, lunettes, souriante, décontractée, allure sportive, robe blanche, elle nous mit tout de suite à l’aise en nous conduisant vers le salon. Et là, Tom, celui de la télévision, ce grand diable qui avait explosé de joie sur la ligne d’arrivée à San Sebastian avant d’endosser le maillot arc-en-ciel, le premier pour un britannique, était là, en personne, en train de me serrer la main ! Je n’en revenais pas ! Je ne sais plus quelle langue je lui ai parlé…. !
Avec Peter, il fut tout de suite amical et chaleureux. Enjoué, même. Tel il était dans les pelotons, tel il était chez lui, pétillant, farceur, plein de vie….Nous nous assîmes. Au mur, la photo « historique » de San Sebastian. Dans une armoire vitrée, des trophées, des coupes…Le feu dans la cheminée. L’épaisse moquette, chez lui aussi. Nous étions bien. Tom et Peter devaient parler vélo. J’en aurais mis ma main….au feu ! Il était manifestement heureux de voir ce que son protégé avait déjà réussi à accomplir en France. Il écoutait sérieusement le récit des courses, l’ambiance des entraînements, des compétitions, le palmarès, la vie en Normandie…., « chez nous », qui semble-t-il apportait toute satisfaction à ce jeune aventurier du vélo à cette époque. Il est vrai que Peter était très vite devenu mon « frère », partageant la même chambre que moi dans la maison familiale et semblable en tous points à moi. Nous faisions tout ensemble, interprétariat oblige pour faciliter dans un premier temps l’insertion de ce jeune Anglais dans la vie française, qu’elle soit sportive ou quotidienne. Une seule chose nous séparait : la distance entre lui et moi aux arrivées des courses auxquelles je participais moi aussi le plus souvent !
Tom était manifestement heureux pour Peter et rassuré quant à son avenir.
Il nous montra un grand vase de cristal qui trônait au centre de la table recouverte d’une nappe blanche. Dans le vase, de l’eau et du céleri en branches ( !). A côté, du sel. Il nous invita à nous servir et à croquer ! Je n’ai jamais mangé d’aussi bon céleri de cette manière. Suivit un petit verre de sherry puis l’inévitable « tea », avec les « butter cookies », servis par Helen. Je me régalais. Et la conversation repartit. Il fut question de sports d’hiver et ….de jambe cassée. Tom avait eu un accident de ski l’hiver précédent et il voulait quand même retourner à la neige. Helen ne voulait pas, elle, en bonne épouse soucieuse du bon état de santé de son champion de mari. C’est en aparté, avec un clin d’œil malicieux, que Tom nous fit comprendre qu’il retournerait à la montagne…. !
L’entrevue a été vraiment des plus agréables, de celles qui restent marquées à tout jamais dans la mémoire. Peter était à l’aube d’une nouvelle saison, marquée par les succès, entre autres le maillot jaune au Tour de l’Avenir 1966, le maillot des As « Paris-Normandie »l et encore une deuxième place aux « Nations », à Paris, contre la montre. Il avait ainsi gagné avec ce palmarès sa place dans l’équipe professionnelle « Peugeot » et dans l’équipe nationale britannique pour le Tour de France 1967, aux côtés de Tom Simpson. Peter abandonnera à l’issue de la 5è étape à Herentals en Belgique, après une 5è place dans l’étape d’Amiens et une terrible étape, celle de Roubaix.
Le 13 juillet 1967, effectivement, dans la 13è étape, celle du Ventoux, Tom Simpson retrouvera la montagne….pour la dernière fois ! « Il décroche….il zigzague sur la route….il est couché sur son guidon….ses équipiers le soutiennent….il tombe…mais que se passe-t-il ? » hurlait Robert Chapatte à la télévision. Attroupements, sauveteurs, premiers soins, bouche à bouche dramatique, hélicoptère de la Sécurité Civile s’envolant vers l’hôpital. Dans son dernier voyage,Tom Simpson rejoignait pour de vrai là- haut l’arc- en ciel de son beau maillot de 1965.
Deux ans plus tard, Peter épousait ma sœur, en Normandie, à laquelle il est resté fidèle, comme à Tom d’ailleurs. Lorsqu’il va escalader le Ventoux, Peter ne manque pas, comme moi, de s’arrêter à la stèle qui marque l’endroit où Tom a été foudroyé par la mort, ce jour-là de juillet 67.
Pierre MAMIER