Homme de neige, par Jean-Paul Gavard Perret

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dessin: MN

à M.N.

 

Tenter d’y voir plus clair sous la neige. Pourquoi n’ai-je rien retrouvé de moi-même à partir de quoi je pourrai exister aujourd’hui ? La réponse est pourtant simple : le peu d’espace que j’ai trouvé si grand à défendre n’était rien et fut laissé en friche. Je croyais y risquer ma vie et je n’y ai osé que ma mort avec délice. C’est pourquoi l’existence court un si grand danger : n’être plus tard que l’imagination de son souvenir se donnant, hors du monde, l’infinitivité du temps des rêves. Plus vrai que les calculs, il n’y a que vos paysages. Fleuve entre terre et ciel déchirant l’entre-deux ébloui de clarté hagarde. Où étais-je avant ? A la fin je retrouverai la grotte d’aube de l’attaque à laquelle on accède par un trou de terrier. Tout au long de ma vie je ne l’aurai reconnu qu’à moitié. Ai-je fini par céder ? L’espace annule tous les lieux comme la Sphère de la Mélancolia du Durer ou cette cour d’école où il n’y a jamais eu personne, économe des cris.

 

D’ENTRE VOS ARBRES

L’absent est appelé à venir – non pas à venir s’installer au milieu des choses mais à être le lieu de son absence. Le où, le qui, le quoi de l’appel ne sont qu’un. Pas besoin de l’apprendre. Quand un cri muet atteint il fait le vide autour de nous. Il est partout ailleurs et ailleurs est ici.
Il appelle dans le vide, il appelle le vide.
L’appelant s’origine à l’appel sans appui qui ne prend son départ de rien dans le monde mais s’ouvre dans la faille où le convoi des causes et des effets n’aura jamais rejoint. L’appel est le là de l’ouvert.

Du silence un événement surgit. A lui-même. De rien. Il a lieu et lieu d’être, manifesté en lui même dans l’éclaircie du rien.
Sans défaut la faille sans défaut s’ouvre avec l’appel.
Chaque vide livre son ciel où tout ce qui prétend contenir est en suspens.
L’appel ne veut rien, il traverse le néant.
L’existence est une exclamation dans le vide éclaté. Dans l’ouvert vous pouvez contempler son accès, dans le rien vous pouvez contempler son secret.

 


Insistance passive / Ni enlacés, ni retirés / Témoins l’un de l’autre mais sans preuves / Au détour du temps qu’ils font tourner / Roumanie / France / Que cela soit impossible n’empêche pas / Les paroles traversent « arbitrairement » / Les affiner écoutant la souffrance qui traverse le silence / Que ferait-il s’il ne pouvait plus lui écrire ? / Que ferait-elle si elle pouvait parler ? / « Je parle pour que vous n’ayez pas à parler » (Blanchot) / Paroles revenues du mutisme sans passer par l’apaisement du silence car le mutisme n’est pas le silence / Le silence est sans peur, sans désir, sans souffrance / Le mutisme est livré à la peur, au désir, à la souffrance / Mais celui qui vous parle a peur que ses paroles n’aient pas suffisamment de rapport à l’être et qu’en conséquence il ne vous parle pas / Il faudrait toujours parler « par erreur » pour surprendre la langue / Trop souvent le « je veux dire » cache son « je ne veux pas dire » et « comment dire » son « comment ne pas dire / Armé de cette clé on comprend mieux ceux qui s’adressent à nous / Mais folie de croire émettre des vérités / La vérité : celui qui croît cela est un fou Immobile / Mobile / « merci pour tous les mots qui n’ont pas été dit » (Blanchot) / Car je connais la force de vos mots / Tout ce que je vous envoie doit être terriblement abstrait / Sensation permanente de ne pas être « au contact » / / Passivité refermée dans sa clôture / Elle ne se subit ni comme « soi » ni comme clôture / Tenter de refuser la souffrance / Mais loin d’en être exilé / Sans amis si ce n’est votre amitié d’inconnue / Si près de vous / Si loin, / Si étrangers / Dans notre défilé / Le proche sans approche / Qui nous lie / fidélité indiscernable / Anonyme / Vous écrire pour perdre mon nom / Votre voix sans voix serait-ce mon murmure / Mais votre mutisme parfois si aigu : craie grinçant sur une ardoise / Ni présents / Ni absents / Situation extrême / Pointe / Avec l’écriture au bord de vous / Sans elle vivre sans vous / Cela doit vous sembler bien mince / Mais mon futur est vide / Je le sais / Je le fais / Peu à peu j’élimine tous les objets superflus / Ne gardant que ce qui est nécessaire / Jusque dans le futile / Appeler cela se faire plaisir / Suivrait la liste des CD et des DVD que j’ai encore conservés. / Mais finir (provisoirement) encore avec Blanchot : « - Que feriez vous si vous étiez seul ? – La question ne se poserait pas parce qu’il n’y aurait personne pour la poser » / Ce qui demeure malgré tout une pirouette…

A voix très intime
A bouche cousue
Rumeur d’être
Fendez les feuilles noires
Pour ne laisser à vif que les branches
Et les racines
Dissipez la brume
Aux abords du fleuve noyé.

Une ferveur sans alarme
Vouée à ne pas finir
Enfouie au fond d’une poche
Tel un talisman
Tel un don.

L’aurore inscrite
Dans les replis du noir
Annonce incisive
Pâleur lente à s’affirmer
Au dessus de votre jardin de vie.