TROIS FRAGMENTS POUR MARINA, par Jean Paul Gavard Perret

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LE SILENCE
 
Sort-on de l'enfance lorsqu'on s'avance pour porter le cercueil de son père ? On l'a vu étendu, paupières luisantes, ses mains blanches comme de la pâte, enchaînées par un chapelet. Derrière nous, les parents plus éloignés, les amis, les connaissances. Devant :  le cercueil à têtes de visses coiffées et la croix brillante. Avant il y a eu sur son front d'igloo un baiser déjà absent à l'absence avant qu'on enfonce les visses dans le glacier. Pendant la cérémonie le curé força à chanter. Au cimetière visages presque  joyeux  pour regarder le soleil. Mais sentir sur le cou la secousse de la corde qui faisait glisser le cercueil dans la fosse commune avant qu'il se noie sous la tourbe et les pierres. Rester muet à la vue d'une femme qui pleurait derrière la grille. Géant endormi, mamelles dépossédées. Se sentir soudain étouffeur de serpents, nettoyeurs de trophée. Sort-on de l'enfance parce qu'on a porté le cercueil de son père ?
 
LIMITE
 
Quelle force si ce n'est celle du vide ? Ce que nous écrivons nous ressemble mais comme une semelle refaite : en déduction, en déficit. Cela colle ou est rejeté. On attend de voir dans une provisoire éternité. De toute façon exister dans les mots reste une forme d'absence ou un ridicule spectacle que l'on donne à nos détritus.
 
La vie dispose de toutes les couleurs, l'écriture ne connaît que le noir : c'est ce qui sépare le peintre de l'écrivain dès le lever du soleil. Un jour le noir nous suffoque.  Seul l'ignoré volontaire devrait faire surface. Mais on fait l'impasse dessus en le nommant inconnu. L'écriture prend donc appui sur le vide.
 
Ce vide nous vide. Il faudrait au moins pouvoir donner pour vrai une partie de la vérité qui l'identifie : un pas le plus proche possible du gouffre où l'on glisse. Franchir pour cela le bord : ce n'est pas un obstacle. Seul la logique veut faire croire le contraire.
 
Sans doute la ressemblance avec qui nous sommes n'est qu'à l'écart des mots, de leurs bruits et même de leur exigence. Mais que sommes-nous sinon des mots d'encre et d'ables obtus, des mots errants qui n'ont même pas la force de devenir paroles. Le  mot dans la mort des mots, le texte dans la mort du texte. Au bout peut-être la transparence. En avant, doute.
 
Le texte n'est jamais écrit, l'histoire n'est jamais racontée. Rien ne devrait s'écrire dans le souvenir (passé) ou le désir (futur). Le texte c'est l'errance. L'errance est anxieuse recherche de ressemblances. L'oubli est leur disparition,  c'est là où l'on commence à se rassembler.
 
Tu te répètes, tu parles toujours de la même chose : je vieillis.
 
UN ETE 67

 
Là où les saules palissent, la marque de vaccin sur sa cuisse : O qui guérit leur écorce dans l'odeur maternelle de mouillé et de marrons glacés. Ombre vert vif de l'été chargé de papillons et de champignons gonflés comme des selles de cuir. Coin tranquille, derrière le mur lourd, terrestre au crépi gratiné et granité. Odeur de pipi de chat mais qu'importe : presser une groseille sur sa main juste pour la lente brûlure de son jus. Je lèche son pouce, elle me donne l'onction. Elle ma terre d'ombre, la tachée jusqu'à la perfection. Pulpe de la baie, incandescence d’une sonate ouverte aux rites amoureux  sans s’incliner vers l’effroi Elle enveloppe de brumes, mais demeure lumineuse, n'étant que nos cœurs qui battent.