Rob Gonsalves : maîtres des nouveaux mondes, par Jean-Paul Gavard-Perret

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Né en 1959 à Toronto , Rob Gonsalves étudie à l’Université de Ryerson et au Ontario College of Art. Après l’obtention de son diplôme, il travaille comme architecte, tout en continuant à peindre des murales trompe-l’œil et des décors de théâtre pendant ses temps libres. À la suite des réactions enthousiastes que son travail suscite à la Toronto Outdoor Art Exhibition de 1990, il se consacre à la peinture à temps plein. Rob Gonsalves participe à de nombreuses expositions, et ses œuvres figurent dans bon nombre de collections. Maître des perspectives et du trompe-l’œil, son style s’apparente à celui de Dali, Ernst et Escher. Possédant un art maniaque du détail et de la composition il crée un univers baraoque plus que kitsch où, par exemples, un guitariste joue sur les toits de la ville, qui se transformant en spectateurs, un château se reflète dans le lac qu’un carreleur prolonge ou encore un pont antique traverse la mer qui, de proche en proche, en son arc, accueille des navires… De toutes ses images émerge pourtant une forme de vérité qui contient l’éclatement du monde. Ce dernier n’est pas nié : il est affronté, dépassé comme si l’artiste proposais de subordonner le lieu humain à la demeure du Cosmos .



Gonsalves prouve que tout lieu se forge à partir d’un rien qui est un Tout. Il fait recevoir sa peinture comme rêve : on se perd dans ses labyrinthes qui font naître la vie d’un autre désir : celui de la réconciliation suprême, l’acte des retrouvailles voire le miracle de l’esprit sur la matière, la matérialité et le consumérisme. Il y a ce retour en amont du réel où tout commence. Au moyen d’architectures sophistiquées, de couleurs flamboyantes, le peintre devient le poète qui nous entraîne dans un monde onirique, fantastique où la réflexion côtoie l’émerveillement en un voyage initiatique vers la recréation primaire du monde dans son infini incomplétude et recommencement. Ses toiles deviennent des miroirs de lumière et fondent des grandes étendues d’asiles d’espérance. Il y a là comme l’étonnement brillant d’une empreinte de buissons électriques aux ailes étranges, de mondes polymorphes et hybrides. Nous sommes confrontés à la plénitude de l’image ouverte, béante, assoiffée d’espace, plissée d’inconnu.

Peintre aussi cosmique que proche du réel Gonsalves en ses immenses inventions-évasions il fait sourdre une énergie par l’hypnose qu’il pose sur des objets, des lieux et des situations. Ils et elles perdent leur nature propre à travers la surrection de l’imaginaire. Il ne s’agit plus de retrancher quelque chose à ce qui est mais de construire des structures et des architectures qui ouvrent à l’étrangeté d’un espace intérieur par l’extérieur. Faut-il dès lors parler de nouvelle réalité ou de surréalité ? Le chemin pictural de l’auteur se situe à mi-chemin dans ce que l’imaginaire produit et qui n’est plus seulement l’affaire de souvenirs ou même de fantasmes ”. La fantaisie c’est ce qui redonne vie à la matière pour une autre vision. D’où ces suites de signes plastiques et d’errances qui essayent de dessiner des cartes ou plutôt des relevés aussi “ réalistes ” que métaphysiques. De telles peintures représentent de nouvelles relations à soi et au monde. Et c’est bien cela que n’a cesse de rechercher l’artiste par inclusions, intersections, montages, télescopages et assemblages susceptibles de devenir des suites de mises en scène dans un ordre où réel et imaginaire se côtoient et s’entrecroisent.

Des fragments agencés surgit une conjugaison la moins prévisible, la plus incertaine mais la plus probante aussi et qui n’est pas dénuée d’humour. La peinture ouvre alors par la figuration même à des lieux méconnus, décalés. Des toiles se dégagent des traces parfois par aporie et parfois par présence effective du corps : entendons ce qu’il y a “ derrière ”. Devenu démiurge le peintre nous ramène à l’essentiel mais pour laisser celui ou celle qui contemple ses oeuvres un champ ouvert à sa liberté d’errer qui prend soudain une force de vie, de renaissance donc de Rédemption dans ce qui semble aussi lisse que compliqué.

L’artiste possède l’art de la séparation, de l’écartement pour ouvrir son langage à d’étranges vibrations par d’autres liens et vers d’autres préoccupations ou appels. D’une certaine façon - en dépit de sa volonté majeure de structurer sa matière - l’artiste ne cherche pas à mettre d’ordre et entre dans l’intouchable : son langage est fait de pénétration et de langueur, de faille et de présence et propose une fête giboyeuse. L’artiste touche, palpe ce qui nous lie et nous délie, nous rapproche et sépare (forcément). Est atteinte de ce fait la déhiscence du monde sans, néanmoins, produire des effets de déréliction puisqu’à partir de çà il s’agit de reconstruire un univers à travers ce que chaque pièce propose au regard. Surgit une forme d’extase et une “ naïveté ” qui soudain changent la vision : nous pénétrons une zone inconnue des rives qui d’ordinaire ne se laissent pas atteindre.

Jean-Paul Gavard-Perret
Jean-Paul.Gavard-Perret@univ-savoie.fr

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Né en 1947 à Chambéry, Jean-Paul Gavard-Perret est maître de conférence en communication à l´Université de Savoie. Il poursuit une réflexion littéraire ponctuée déjà d'une vingtaine d'ouvrages et collabore à plusieurs revues.

 

Le texte est publié avec l’autorisation de Jean-Paul Gavard-Perret et d’Arts-up http://www.arts-up.com/JPGP/chroniques_de_jp_gavard-perret.htm
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