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Il existe dans les eaux fortes, les encres, les gravures de Marina Nicolaev une étrange harmonie. La masse de formes qui surgissent laisse émerger un monde organique (végétal ou "animal). D'où l'apparition d'un ensemble de sensations plastiques à la fois de coordination et de contrastes au sein du grouillement. Contrepoids, balancements, "incestes" divers et variés produisent la modulation d'un corps nouveau, existant. Le réel surgit dans la matière particulière que l'artiste trouve pour révéler ses paysages intérieurs tourmentés, nostalgiques, assaillis de monstres du passé ou du deuil. Désir ou sang des veines tout y est : des anneaux courent, un grand mixage uni et complet de masse grouillante dont toutes les parties vont ensemble a lieu.
Toutes les parties construites et dessinées dans leurs formes aussi claires que confuses maintiennent les directions réciproques des masses. Pourtant dans tout ce qu'il y a de sombre (pour une telle artiste le noir est non seulement une couleur mais la couleur essentielle) on peut vivre, voir, être léger. Oui, être léger de tout ce qui pèse, de la "bête" ou d'un arbre sans base qui s'agitent, vagues, incertains mais évidents aussi. C'est comme un roman plein de directions différentes, on y voit de manière nouvelle, plus profonde dans l'enchevêtrement du féminin et du masculin. Emerge aussi l'union de l'esprit à la matière dans l'inconscient de la création. Tout se pénètre, est pénétré. Complexité de l'être. Union différente de l'unité la plus complète. Hymen de l'angoisse et du plaisir. Etrange tension érotique. Le corps sans une seconde de repos cherche la fusion avec la terre. Tout se passe donc comme si Marine Nicolaev ne cessait de se souvenir du temps qui coule en elle. Et l'imagination ébouriffée devient la folle de son logis : elle est capable d'"imager" les terreurs et leur donner un corps. Face à un tel territoire nous sommes autant estourbi qu'écrabouillé. Gravures et encres nous conduisent jusqu'aux limites du vivre à travers rêves et cauchemars.
Pouvons-nous connaître la sérénité dans de telles oeuvres ? Certainement pas mais c'est ce qui leur attribue une force existentielle. Traces, trajets entre lesquelles parfois l'intervalle tient tout en respect deviennent des morsures de l'invisible. Chacune de ces oeuvres est liée à l'évolution de la vision de la créatrice, de sa conception de l'art et de son chemin de vie. Tout s'enchaîne entre ce qui a été fait avant et ce qui sera fait après dans l'instant présent. Marina Nicolaev semble prête à une nouvelle vie mais sans pouvoir cependant renoncer à l'ancienne comme en témoigne un poème de l'artiste "Sommeil d'encre
"Il n'y a plus d'ombres dans cette agora que la mienne
tel ce nuage amplifié par plusieurs miroirs
qui se tournent toujours vers mon passé
où les anges, comme en une fine bruine, enterrent leur ailes
dans cet hiver amer toujours inachevé
il n'y a plus d'ombres qui frôlent en silence
la nuit angoissée d'un enfant plein de pitié
pour la solitude des arbres
il dort parfois en larmes
parmi les papiers des aveugles
en esquissant la dernière maladie de l'absence".
Tout est là. Un tel texte représente en effet une clé majeure de l'oeuvre.
Toutefois celle qui se réalise de la sorte dans son oeuvre peut nous aider à nous réaliser dans la vie. Lignes, arabesques, effet sérigraphique de "calque sur", profils des masses dans l'espace et profils des vides qui proviennent de la construction et de la plénitude plus que le chaos deviennent le signe d'un autre ordre. Des cambrures se nouent, se tissent à d'étranges vers intestinaux. Tout est en broussaille, tout vit. Au sailllant des corps s'effrangent des clartés impatientes. Elles deviennent les psaume écartelés du monde. Chaque forme est créée avec la mémoire comme par l'éclair de la présence. Marina Nicolaev pressent l'infime et possède le haut instinct de l'arbre dans le ciel, le pli du vent et de la sève. Dans le carré des choses vues elle montre l'intime de la lumière pour que le regard retrouve sa place profonde au cœur de l'attente. Il y a ainsi les reflets d'éclaircies sur les quartiers disparus comme sur les moments vifs à devenir. Dans les entrelacs et les enchevêtrements de corps et d'âmes surgit encore et encore la cicatrice jamais fermée sur les blessures de l'être englouti d'avant.
L'artiste voudrait que Tout ce qui est passé soit passé, mais du passé tout n’est pas consumé encore. L'artiste en fouilles les recoins mais afin que sa nostalgie ne soit plus ce qu'elle était. C'est tout le mal qu'on lui souhaite. Elle semble chercher une autre chair mais son oeuvre reste autant un redoublement qu'un dédoublement. Ses magnifiques eaux fortes deviennent pour nous aussi un moyen de galoper le long de l'automne en retrouvant une force sauvage. Il faut s'appuyer dessus le temps de retrouver de l'air pour une résurrection en gestation. Chaque oeuvre reste donc la tentative de s’ouvrir et de glisser dans les arbres comme dans les corps et d'accepter enfin d’être qui nous sommes. D'autant que dans ce qui demeure le plus précis et le plus concret émerge une vision cosmique de l'être de son rapport au monde avec toute la lumière et l’obscurité dont cela procède.
Jean-Paul Gavard-Perret Né en 1947 à Chambéry, Jean-Paul Gavard-Perret est maître de conférence en communication à l´Université de Savoie. Il poursuit une réflexion littéraire ponctuée déjà d'une vingtaine d'ouvrages et collabore à plusieurs revues.
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