Prix des poètes francophones 2013: Nicolaev, Marina

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sais-tu, le matin seulement

sais-tu, le matin seulement
la mer fait descendre les esturgeons ensommeillés au rivage
sous l’herbe fauchée des vagues on entend frémissant
de nulle part
j’ai une pensée de toi et ne suis plus
étrangère au monde
dessein signe solitaire

troupeaux de nuages détachés du ciel
nous égarent l’étonnement en semences
le matin seulement
dessein signe solitaire
quand te verrais-je encore mon bon souvenir

l’après midi est aux oiseaux bougons
tournoyant au-dessus de nous ses bourgs de brouillard
les mers affamées crient nos noms
- le mien, sous les récifs, sitôt ne l’entonne –

… si tu m’as oubliée
dessein signe solitaire
oubliée dans le monde
sais-tu, au fondement de ta bastide mon ombre j’enferme
vers le matin...

 

entretien avec la solitude

j’écrase ses lettres dans le vent pour oublier
la semaine d’automne bleu
où macère lentement le silence des pierres
l'une contre l’autre dans mon âme

peut-être suis-je moi-même
ce contraste mimant la solitude
entre lumière et péché
après l’orage de toute ma vie
dans l’œil d’eau oublié au désert

c'est le même florilège
derrière ces choses
écrites sur les larmes de mon ange
qui meurt un autre jour
tant qu'il aura le cœur sur la main

telle une plume
tombée devant la bastide des ombres
d'après son battement d’ailes
tu reconnaîtras ma solitude

de temps en temps
une licorne aveugle se réveille en moi
seul
le bon Dieu sait pourquoi et me le dira

 

bref monologue sur l’ange

je parlais jadis sur les anges
dans les livres des autres
ou peut-être dans des signes

mais je ne sentais
que le tremblement de l’ombre
projetée au long des traces
comme s’il était
un animal étrange
sans figure
qui se traînait à peine
en me portant sur ses épaules
sur le sable encore
chaud.

de temps en temps
les gestes se dédoublaient
les arabesques de l’air
se désynchronisaient
et je ne savais plus
s'il n'essayait pas lui non plus d’échapper
à ses cauchemars
et aux ombres

…simplement il m’enroulait dans ses ailes
chaudes comme dans un cocon d’herbe
en me murmurant
les coordonnées
du Paradis perdu.

 

à l'ouest de moi-même

il pleuvait en juin
et de nouveau me guettait
cette étrange sensation de liberté
du haut du cerisier

de quelque part, d'autre part
Arcimboldo ouvrait largement les fenêtres
du baiser mouillé de cerises
sur le chevalet de la mémoire
jusqu'aux ombres
qui se liquéfiaient tendrement
en vêtements de Dimanche
sur les rues de Saint Germain

il pleuvait en silence dans les stalles de l'église
et les oiseaux s'envolaient en sanglots
de mon âme épanouie
à l'ouest de moi-même.

 

expériment devant le miroir

au-delà de la poésie se sont érigés
des quartiers pleins d’interjections marches funèbres
foyers d’ordures dans les rues abandonnés en plein jour
par la dystopie de cette solitude collective

chaque nuit on entend d’autres et d’autres contrées
en rejetant leurs gosses de fumée par métastases
de nuages tardifs

au-delà de l’illusion il n’y a plus de villes
mais d’ombres sans abri macérées par les craintes
les os des pendus aux mots incompréhensibles
des abréviations convulsives ressentiments
inutiles guerres
signes annonciateurs et mort

moi seulement je suis malade de nostalgie
elle transporte dans ma chair des linceuls amers
comme un blizzard retors entre veille et sommeil

chaque fois que j’ouvre ma fenêtre
l’air larmoie
des oiseaux.