Leonid Borisov ou l'inévitable air du Temps

Creation Category: 

 Né en 1943 à Leningrad, Leonid Borisov a poursuivi des études techniques d’ingénierie  des communications. Tout comme les autres artistes promus par la Galerie Blue Square il appartient à la génération qui a travaillé dans l’ombre du régime communiste et qui ont su ne pas faire des compromis avec les diktats de l’art officiel. Ce type de contestation silencieuse a mis son empreinte sur la création de Leonid Borisov. Dans sa peinture, ses dessins, assemblages, constructions et photos il y a une modernité évidente mais exempte de provocation. L’originalité et la révolte intime se traduisent dans le minimalisme conceptuel contraire au réalisme soviétique.  


 
   

Leonid Borisov s’est expliqué sur les mécanismes de sa création, sur sa filiation, sur les influences qu’il aurait pu subir pour arriver en fin de compte à une expression originale et reconnaissable dans une interview accordée à Renée et Mattew Baigell dans la série d’interviews consacrée aux artistes dissidents soviétiques intitulée « Interviews after Perestoika ».

Tout d’abord, sa formation scientifique ne doit pas être étrangère à l’enlèvement de tout élément inutile de son langage esthétique. Trois cuillères dans une simple tasse créent un événement. Le fond de la photographie est uniforme, illuminé de gris pâle et met en évidence les reflèts des objets dans l’espace. Malgré l’apparente froideur l’univers proposé par Leonid Borisov parle avec sensibilité et poésie d’un monde proche et familier car les objets photographiés appartiennent au quotidien -une casserole fleurie parle de l’univers de la cuisine et le magnifie ; un ancien fer à repasser posé sur une assiette blanche évoque un monde révolu qui fait néanmoins un pont entre le passé et un présent communiste fait de promesses non tenues ; trois bananes parlent du mirage du fruit exotique  dans un espace du manque d’échange. Au delà des possibles messages il y a l’objet dans sa pureté qui se déploie presque comme une formule d’algèbre, évident, incontestable. 

Mais on peut se poser la question de la présence le l’homme dans la création de l’artiste. Serait-ce l’objet l’unique sujet le Leonid Borisov ? Dans l’exposition de la galerie Blue Square il y a l’autoportrait de l’artiste affalé sur une banquette dans une station d’autobus. L’image nous est transmise à travers une vitre qui la rend flou et qui ouvre ainsi des multiples possibilités d’interprétation. Ce qui est sûre est le fait que cette image ouvre le discours de l’artiste à la présence humaine moins saisissable que l’objet ou l’expression géométrique. L’homme n’est pas figuré frontalement mais à travers un objet filtrant qui a probablement le rôle d’éviter avec pudeur la confrontation avec le regard du sujet.  

Leonid Borisov est une figure bien définie dans l’espace de l’art contemporain russe et reconnaissable de loin. En parlant de Leonid Borisov on se rend compte encore une fois que dans l’histoire et plus spécifiquement dans l’histoire de l’art il y a des phénomènes inévitables. Ce qui doit se produire ce produira de toute façon même si cet inévitable revêt la forme  du miracle. Sans avoir subi d’influence extérieurs et avec un minimum des contacts avec l’art abstrait, Leonid Borisov se situe dans l’inévitable l’air du temps. L’artiste avoue avoir été en relation avec des artistes d’avant-garde comme Filonov et Sterligov et à travers eux avoir senti les puissantes vibrations de Malevitch mais il dit s’être formé seul de manière intuitive. Il n’a pas appartenu à aucun groupe et à aucun courant. Ses participations à la vie artistique russe avant la Perestroïka ont été sporadiques et limitées sans nier qu’il a eu connaissance des actions comme « Le Bulldozer »et qu’il a exposé d’une manière limitée et à peine tolérée.  

Reconnu en Russie et internationalement Leonid Borisov travaille dans le même esprit qu’à ses débuts et approfondit les thèmes et la manière qui sont les siennes depuis les années 1970.  

Cette belle constance assure sa place à part dans le paysage de la peinture russe contemporaine qui c’est ouvert au monde après des passages silencieux ou qui nous a parlé à travers des messagers exilés. Plus grand le mérite de ceux qui sont restés et qui ont œuvré avec une modeste certitude en attendant leur heure.