Entretien avec Ronny Someck (Propos recueillis par Roselyne Déry, attachée pour le livre à  l'Institut français de Tel Aviv

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Un petit garçon de 4 ans en veste et cravate, amoureux d’Oum Kalsoum et jaloux du portrait de son mari, David Ben Gurion qui croit dur comme fer que les gazelles boivent de l’arak en tétant leurs mères…c’est Ronny Someck, « le vétéran de la jeune génération des poètes israéliens ».

Ronny, vous émigrez d’Irak âgé seulement d’1 an et demi et vous avez attendu l’adolescence pour vous considérer israélien à l’instar de vos camarades de classe..

C’est vrai, j’étais ce petit garçon habillé comme un gentlemen, et ma découverte du jardin d’enfant a pris subitement fin le jour où ma grand-mère me découvre en veste et cravate en train de jouer dans un bac à sable !! Ainsi jusqu’à l’école primaire, je passais mes journées dans les cafés, mascotte aimée des hommes de la famille et
circulait de table en table au milieu des fumeurs de narguilé et des buveurs d’Arak.
A l’époque les cafés s’ornaient de deux immenses tableaux posés côte à côte de Ben Gurion et d’Oum Kalsoum comme trônaient à la maison les portraits de mes parents et de mes grands parents. C’est ainsi que j’ai mis très longtemps avant de comprendre qu’aucun lien marital n’unissait ces deux figures !
La gazelle est le premier animal que mon regard d’enfant a su reconnaître…celui dessiné sur toutes les étiquètes d’Arak.
Il y a encore autre chose : j’ai grandi au milieu d’une multitude de langues. Tout autour de moi, chacun parlait une langue différente, le français, l’anglais, le ladino,
l’arabe, le yiddish, et un peu l’hébreu. Mais ce qui me frappait c’est que cela ne gênait personne et tout ce monde là s’entendait à merveille..

Le français faisait donc partie de votre environnement mais vous ne le parlez pas, je crois ?

En fait l’intelligentsia juive en Irak se partageait en deux camps, les pro-anglais et les pro-français. Evidemment avec une véritable aversion d’un camp sur l’autre ! Ma
propre famille était ainsi divisée mais il y a autre chose : nous connaissons l’influence de la France en Israël jusqu’en 67 et si je n’ai pas pratiqué la langue elle-même j’ai toujours été empreint d’une profonde francophilie. Ma participation au salon du livre de Paris a été pour moi un événement considérable, c’était plus qu’une joie c’était
relier le présent à mon enfance et aux inclinations de ma propre mère.
Je suis traduit dans près d’une vingtaine de langues et la France a souvent été le lieu de rencontres fondatrices, en particulier avec Abdul Kader El Janabi, poète irakien
exilé en France.

Le livre que vous avez publié ensemble, Nés à Bagdad a reçu une ovation lors de sa sortie en 1998.

En fait, cela tient d’un miracle télévisuel : Bernard Pivot a présenté le livre lors d’une de ses émissions en le citant comme l’un de ses coups de foudre et le lendemain,
l’éditeur était en rupture de stock !!!

C’est une erreur d’orthographe qui vous consacre poète ?

Oui. A 16 ans je faisais partie du club de Maccabi Tel-Aviv et je m’imaginais comme un grand footballeur. Un jour, j’ai écrit un billet à une jeune fille de la classe dont
j’étais amoureux et en me relisant, je me suis rendue compte que je venais d’écrire un poème.
Totalement surpris par cette rédaction, je me surpris encore en écrivant un deuxième, puis un troisième jusqu’à faire déborder une boite à chaussure. J’ai compris que je devais faire quelque chose. J’ai adressé quelques poèmes au
responsable littéraire du Ma’ariv. Deux semaines sans réponses quand en ouvrant le journal je découvre en première page l’un d’entre eux, sauf qu’il n’était pas de moi.
L’auteur s’appelait Someck et mon nom alors était Someh.

Ronny, nous avons eu envie de vous inviter à l’Institut français pour cette édition spéciale du Printemps des poètes autour du rire en poésie car vous êtes par excellence celui qui, du particulier à l’universel nous donne à voir, avec humour, tendre ou caustique les faces cachées d’une réalité qui sans cela nous étranglerait.

J’ai deux inspirateurs, Bertold Brecht et Jacques Prévert. Longtemps, Prévert a été considéré par ses contemporains comme une sorte de trublion amusant et léger.
Aujourd’hui seulement on lui reconnaît combien il était finalement sérieux et inscrit dans une réalité dont seule la poésie pouvait l’alléger. Voilà c’est un peu ainsi que je
pense ma poésie. On peut parler des conflits qui agitent notre région en faisant des articles, moi je préfère parler de la douleur et de l’angoisse en faisant sourire mes lecteurs. Une manière de ne pas oublier, d’être plus fort peut-être. Vous savez, j’aime me penser à la manière de Marcel Duchamp, il disait : « La poésie, ce n’est pas un
Institut de beauté »

Vous avez publié plus d’une vingtaine de recueils, enregistré une dizaine de disque, reçu de nombreux prix. La nouvelle génération nous laisse voir des poètes talentueux, et il n’est pas surprenant de rencontrer des audiences de
centaines de personnes lors de soirées poésie ici en Israël. Comment vous l’expliquez ?

C’est vrai. Pour moi, l’origine est l’hébreu. Cette langue qui a si longtemps dormi n’en finit pas de se renouveler, nous en cernons à peine les contours. Mais le poète, c’est
comme dans les films de western, vous voyez le pianiste, celui dont on ne connaît pas le visage et qui n’aura d’autre fonction que d’être là, passé les portes à tambour
du saloon. Sans lui, ce n’est pas un western et bien le poète, dans la cité, c’est le pianiste du saloon !

Ronny Someck, merci beaucoup, nous vous retrouverons le 23 avril, à 20 heures à l’Institut français aux côtés de la poétesse Marléna Braester dont vous êtes le traducteur en hébreu et qui vient de traduire les poèmes de votre
récent recueil en français, Constat de Beauté, éditions PHI, collection Graphiti.
Ce sera aussi l’occasion de redécouvrir Jacques Prévert et Jean Tardieu, qui n’auraient pas boudé vins et fromage qui agrémenteront cette édition spéciale
du Printemps des poètes à l’Institut français !

RONNY SOMECK est né à Bagdad en 1951 et, jeune enfant, a immigré en Israël. Il a publié 10 recueils de poèmes, ainsi qu'un livre pour enfants avec sa fille Shirly (Le bouton du rire).
Ses poèmes ont été traduits en 39 langues. Des recueils ont été traduits en français, arabe, catalan, albanais, italien, macédonien, yiddish, Croate, Napali, anglais. Il a
reçu le Prix du Premier Ministre, le Prix Yéhouda Amichaï pour la poésie hébraïque, le "Prix des poèmes du vin" accordé en 2005 dans le cadre des Soirées Poétiques
de Struga, Macédoine et le Prix de poésie Hans Berghhuis 2006 dans le cadre du Festival international "Les Nuits de la Poésie" de Maastricht, Hollande.

Livres publiés en français:

Nés à Bagdad (avec Abdul Kader El Janabi), Paris, Editions Stavit, 1998.
Traduction: Michel Opatowski.

Constat de beauté, Luxembourg/Québec, Editions PHI, Collection Graphiti, 2008.
Traduction: Marlena Braester.