Christophe Liron - Signes Semences - nomade de la vie, la poésie à  l'habit patchwork, par Angela Nache Mamier

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Christophe Liron est une personnalité artistique originale et complexe.
Le poète Xavier Bordes souligne en critique dans « La Bible de l’art singulier » aux éditions iconofolio ses talents multiples le considérant comme « un poète des métamorphoses qui nous offre avec une efficacité surprenante,la peau,comme scalp de l’universelle métaphore… « Il sculpte la peau des bêtes mortes. C’est l’ancien savoir des chamanes des grandes plaines d’Amérique ! » dit aussi de lui André Murcie, poète et chroniqueur, dans le numéro de la revue Bucéphale qu’il lui a consacrée…






Le volume Signes Semences paru en 2008 aux Editions Clapas de Christophe Liron (www.clapassos.com / www.cristophe-liron.com) est le 14-ème volume d’une série étonnante de titres, de livres tableaux, objets livres, qui nous surprend par un souffle nouveau donné par cet artiste plasticien qui oscille entre « le travail de la peau aisée et l’œuvre de poésie ».
Ce recueil est une rétrospective du chemin de la vie de l’artiste qui réunit dans ces pages ses périples de « citoyen, penseur et world trotter de l’univers», ces « notes de voyage intérieur », des vers et des textes assez narratifs, font chevaucher des métaphores surprenantes avec des analyses et des réflexions existentielles pertinentes.
L’auteur dévisage le monde, poussé par un élan vital vigoureux. Le livre est constitué de plusieurs chapitres qui le font passer du stade de recueil au statut d’objet, au reportage photos, par de nombreuses illustrations et incisions comme si le stylet ne voulait jamais quitter la main du poète, la peau de sa main qui glisse sur la peau des mots ou sur et à travers les pages incisées perçues comme des palimpsestes.
Pour Christophe Liron l’histoire est un présent perpétuel. Elle nous laisse un bel héritage à faire connaître et à prolonger pour que le triomphe de l’âme de nos ancêtres soit maintenu. Le poète se sent investi du rôle de porteur de paroles ou d’actes, une sorte de globe-trotter qui rend hommage aux humains de la terre entière.
Des terres secrètes habitent ces pages grenues de gravité et de mystère :
(BAB) Andalouse,Hispano-mauresque,Orientale,de la cité,du souk/ ou bien de la maison – « la porte » est ouverte maintenant
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(Maroc) : « Maroc/ Maroc libre/Maroc couleur/ Maroc pauvre en or/ Mais riche en amour/ à l’habit patchwork et nomade… »
L’auteur ressent ses voyages comme une espèce d’immense livre feuilleté avec enchantement, sans préjugés mais avec des destinations de préférence ensoleillées (Tenerife, Ouarzazate, Elaphonissos, Asilhah mais aussi Carnon-Ouest…)
Les mains noueuses du laboureur de la terre sont à l’honneur. Il sait capter un sens magique dans les rituels éternels :
« …mais ils refont chaque matin leur « pain blanc et rond / qu’ils recouvrent d’un linge ; sous leurs voiles / les femmes roulent des hanches et des yeux / non loin de là / depuis toujours la mer / et l’océan ont mélangé leurs vagues ». Il est fasciné par la grandeur de la nature et en éprouve un divin respect. Le spectacle qu’elle nous offre est toujours beau, la nature peut tout et fait tout, elle ne nous trompe jamais.
L’EAU pour l’écrivain est la Mère universelle, la Mère nourricière, le ventre protecteur et chaleureux.
La MER, l’OCÉAN coulent dans les pages et nous donnent des vrais frissons impressionnistes et admiratifs :
(Grain de nuit) « … c’est l’heure d’amour où les vieux bois rêvent en silence avec des odeurs d’essences rares, de fleurs ou d’îles calmes, le moment où les plantes poussent leurs branches neuves plus en avant pour appeler le soleil et ma main ne tremble plus et la vie n’a plus peur de rien ».
Le pêcheur Antonio : « je ne sais que pêcher et boire / Il habite un village sans journaux ni radio / tout est soumis à l’Océan, ici… » complète les scènes de la vie humble de gens ordinaires.
L’auteur est meurtri par le destin de la planète et tire des signaux d’alarme :
« Crédit » -« Planète en sursis, instance de catastrophe comme si le chaos originel, que toute humanité s’applique à reconnaître lointain et dompté, n’avait cessé de perpétrer la loi des fusions du magma et des transformations polymorphes » ou « par quelle ignorance prodigieuse pouvons-nous oublier qu’un jour viendra où n’aurons même plus le goût de la terre dans notre bouche ? »
On sent un cordon vital entre le poète et la terre à laquelle il parle comme à une divinité Mère qui lui enseigne les vérités universelles.
Poète engagé il a une voix qui suit sur la haute voie tracée par des poètes comme Aimé Césaire, Neruda ou Senghor .
(Mustoff) : « Je dis:/ Absents/ hommes d’avant/ je vous devais/ vous dois toujours/ l’habit/ l’ample manteau/ pleine absence contemplative …
(Femmes orientales) : « Vois les femmes voilées / ombres et silhouettes / immobiles /…/ elles semblent frégate s/ leurs peines et leurs joies / sont prises dans l’étoffe / Voile gonflé de la maternité / chaleur des plis / où les enfants s’endorment / Elles sont / en toute innocence / phallus de toile / renvoyant le désir / à son sujet ».
Ou à la lettre : « Je crois en la bonne volonté / en l’humanisme et au pouvoir du sourire/ mais je crains le sourire du pouvoir. »
Des textes philosophiques, véritables poèmes en prose ou des poèmes quintessenciels occupent une place importante dans le livre :
(Le simple monde) « …si le marcheur est un enfant, le caillou est un trésor, il le regarde puis le fait basculer dans sa poche…un jour, on meurt, parce que depuis longtemps on n’a plus de petit caillou dans ses chaussures » ou (Là-haut) :
« De l’autre côté de la vie, du visible / quel pesant bagage posons nous aux portes du ciel / et quelle partie de nous, posant cette question / n’est pas concernée par la réponse »
A travers ses textes, l’auteur revient sur ses méditations inédites et intéressantes d’artiste plastique passionné par le travail très fin de la peau (et de la peau des mots) qu’il aime aussi transformer dans des associations subtiles et surprenantes : grain de nuit, hors brume, confit danse, mer se crête, tant pêche, l’épi qu’assiette, c’est tétonnant, à propeaux d’œuvres …font partie du vocabulaire néologique créé dans son laboratoire intime et secret.
Dans le chapitre « A propeaux d’œuvres » il met au premier plan la peau « …matière fragile / périssable/ renouvelée/ mais quelque fois / tannée et durable.
Il relie ce fil fin aux histoires ancestrales, sources intarissables et indispensables pour l’avenir de l’humanité : « peau…matière d’art par excellence inaliénable du patrimoine culturel »
Comme « tissu vivant, la peau a sa mémoire propre et grâce au miracle du tannage, son grain, ses rides et ses cicatrices sont un hommage à la vie qu’elle a contenue. Nous rappelant notre condition de mortels, elle est peut-être ainsi tannée une métaphore de la vie spirituelle après la vie ; une allusion aux plus grandes métamorphoses de l’être ».
« La peau est aussi l’un des premiers supports d’expressions picturales et graphiques de l’humanité » nous dit Christophe Liron.
« Les mots précisément nous sont une deuxième peau, la peau de l’esprit, ces mots avec lesquels nous nommons, nous définissons, avec lesquels nous mettons en forme nos idées, nous exprimons notre évolutive pensée… »
Le chapitre Le Temps des Signes (l’auteur fait référence à une de ses expositions au Centre Culturel Français de Marrakech.)
Le chapitre Signes antérieurs :
Quatre années de recherches plastiques ont abouti à 3 expositions sur le thème des signes. Il lit dans les ténèbres comme si celles-ci lui révélaient les événements futurs : « les premières écritures étaient pictogramiques, parce que les os, le squelette sont des pierres réécrites par du vivant »
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Idéogrammes, calligrammes, pictogrammes, sont eux aussi des signes antérieurs…
Le chapitre Signes intérieurs : il est intéressant d’y voir des incisions inhabituelles le long des pages qui proposent des idées « sculptées » ou tracées sur la « peau »du papier
L’auteur a une manière de sentir vive et forte :… « Né dépendant d’aucun accessoire, la connaissance n’est pas l’accumulation de quelque savoir mais bien une révélation intérieure à laquelle chacun doit œuvrer avec l’innocence d’un enfant… »
Robur generator est un éloge sensible au chêne : « Pris comme arbre emblématique de toute sa famille végétale et ici entouré de cubes de pensée équarrie, il évoque l’histoire du papier, pâte de bois porteuse des signes des hommes. Présent aussi le souvenir du chêne des Celtes sous lequel s’aiguisait la parole…il est le navire régénéré par la permanence de son naufrage, le symbole de l’intarissable alliance de l’homme et du mystère, de l’écrit et de l’inexplicable ».
Dans le Chapitre Signes extérieurs l’auteur a mis en avant des fragments de mobilier nomade de la fin du siècle dernier… « Nettoyés et renourris …ces vestiges des civilisations des régions désertiques sahariennes et présahariennes racontent des histoires d’hommes libres comme le monde n’en fait plus… ».
Dans le chapitre « Bien être, savoir vivre », nous pouvons lire des poèmes qui alternent avec des réflexions : « la première peau de l’homme / c’est la peau de sa mère ; elle est tunique ta mère / elle est vraiment passage/ ainsi est l’amour maternel. »

Christophe Liron dans ce volume met sa délicatesse au même plan que la gravité. Ses poèmes réunissent beaucoup d’espoir. Ce sont les songes d’un homme éveillé. Son dernier mot tire un signal d’alarme : « La poésie et les poètes ne doivent pas être jetés sur la voie publique ; si ils sont inutilisables, prière de les mettre dans des containers appropriés ».
Ce livre permet au poète Christophe Liron de nous envoyer des signes forts de vie résistant aux agressions du quotidien.



Christophe Liron en tant que responsable des Editions associatives Clapàs (en association avec l’Association des Amis des Voix de la Méditerranée) a été une des principales chevilles ouvrières de l’équipe ayant travaillé sur l’ouvrage « Voix de la Méditerranée », pour la publication de la première anthologie orchestrée par Maïthé Vallès-Bled, directrice du Festival des Voix de la Méditerranée. , permettant un dialogue culturel enrichissant pour plus d’une centaine de poètes d’au moins trente nationalités différentes.
Dans la préface de l’anthologie, Maïté Vallès-Bled souligne le but de cette publication : « Nous avons voulu que chaque poème soit ici donné non seulement en français mais également dans sa version originale, afin que résonne aux yeux et à l’esprit cette musique des langues, détermination mystérieuse de toute identité, alchimie fondatrice de toute culture, symbole aussi de cette Méditerranée dont on ne sait dire si elle est une ou multiple mais qui chaque année fait entendre à Lodève une voix commune de respect de l’autre, d’échange et de partage »


Ces deux ouvrages sont disponibles aux éditions Clapàs 10 Bd. Sadi Carnot 12100 Millau.


Angela Nache Mamier


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