ANGELA NACHE MAMIER - Une muse venue de Roumanie, de Bernadette Dubus

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Nous n'aurons jamais assez de place dans cet article pour rendre hommage comme il se devrait à Angela. D'autres l'ont fait avant nous, sûrement avec plus de professionnalisme, mais tant pis, jetons-nous à l'eau.

La première chose que nous pouvons dire d'elle, et ça dès notre première rencontre, c'est qu'elle est belle. D'une telle beauté intérieure que tout son être en résonne. Elle parle avec un accent qui roule comme les cailloux du lit d'une rivière emportés par le courant. Son courant à elle c'est l'amour. Celui des gens, de son pays; la Roumanie, de la France sa terre d'adoption. Et surtout l'écriture. 

Écrire, c'est la libération intérieure

Angela nous dit : «L'amour des gens et la vie en général me motive et me rend nostalgique, donc créative et je commence soudainement à écrire

J'ai dû me rendre à l'évidence que ma vie est plus supportable grâce à la poésie

Dans Celebratio, j'exprime cet amour de la Vie,

de la Terre, des humains,

rien de nouveau en somme !

Avec Dolor ou les deux volumes antérieurs j'ai réfléchi longuement à la mission poétique.

Le Temps passe si vite: chaque parole doit retentir fort, chaque silence aussi;

Sous la dictature j'ai pris ce risque-là!

C'était une façon de résister derrière cette barrière de mots à un régime qui favorisait les lèche-bottes!

Écrire c'était une exaltante façon de laisser un message, de ne pas me résigner au mutisme, à la solitude ;

Vivre en France c'était inimaginable .

Le destin a décidé autrement et Pierre Mamier est pour quelque chose...

«Ecrire c'est la libération intérieure.» 

Quand elle parle de poésie, Angela est intarissable. D'ailleurs, Angela est simplement intarissable pour tout. Et nous l'écouterions des heures. De sa bouche, il n'y a jamais aucune méchanceté qui ne sort, que des étonnements devant celle des autres, des enthousiasmes délicats sur l'existence, de l'amour, encore et encore. Angela, c'est la passion frénétique de l'écriture, l'engagement total de toute une vie.

Et ce n'était pas facile, la vie en Roumanie du temps de la dictature. Laissons-la elle-même nous raconter...  

Une seule vie 

Emmurée dans la tour vieillie

Elle essaie d'ouvrir la voie

A des tas d'illusions. 

Ceux qui l'achèvent

Lui arrachent des sanglots.

Coûte que coûte survivre

Aux paroles dites du bout des lèvres 

Et du mépris.

Ses pas hésitent mais n'arrêtent pas

De frapper les parois du tunnel fermé.

Ce pays où l'amour, les vivres.

Les paroles libres gâtèrent.Interdits et punis.   

POSTFACE 

Epreuves orales en France 20 ans après Ceausescu 

 

La même remarque sympathique et multipliée par cent! 

« Vous avez un accent... ?

Vous êtes Roumaine, ah bon...

Tout le monde parle français là-bas.

Dites-moi c'était vraiment si dur.

Je n'arrive pas à y croire 

Ça ne pouvait pas être si terrible 

Les médias exagèrent toujours, n'est-ce pas...? » 

Ma réponse toute prête, très longue, 

Toujours la même multipliée par cent !

« J'y ai vécu, y ai survécu. Imaginez-vous à notre place : 15 litres d'essence par mois. 

Cinq enfants obligatoirement par femme 

-Jusqu'à 45 ans, pas d'avortements.

Déplaisirs d'amour et comme résultat 

Cent mille orphelins ou abandons d'enfants.

Trois cents grammes de pain noir par jour, par personne.

Quatre fois par année de la viande de porc.

Des tickets ignobles de rationnement par mois.

Un litre d'huile de soja, un kilo de sucre et de farine.

Dix œufs, une pauvre margarine,

Un parti unique, aucune liberté d'expression. 

Voter de force pour les mêmes,

Tout le monde sous écoute téléphonique, espionné.

Des informateurs zélés.

Frontières fermées, le pays agonisant.

Coupé du monde volontairement, 

Des gens persécutés à la moindre insoumission.

Au moindre écart.

Des punitions, des peurs au quotidien.

Les tziganes écopaient de trois ans de prison

Pour un pain vole, pour un gémissement.

Le Samu ne se déplaçait plus après l'âge de soixante ans.

Des villages rasés, des gens entassent dans des tours.

Le peuple esclave, militaires ou bagnards.

Erigeaient Palais du Peuple,

Pharaonique,  visible de l'espace

Comme la muraille de Chine.

Rien que la porte de son bureau en bois précieux

Mesurait cent mètres de hauteur...

Il vendait en dollars,

Pour ses comptes en banque à l'étranger.

Les enfants de filles-mères à l'adoption. 

Le pétrole.

Les Juifs, les Allemands.

Nous obligeant à nous serrer la ceinture,

A trembler de froid.

Sans électricité, au profit des industries. 

Presse asservie, une culture ridicule au service

De Ses paroles.

Ses portraits.

Ses discours,

Le parfait dictateur, crétin-parano... »  

Je reprends mon souffle, prête à continuer.

Mais l'interlocuteur gêné s'essouffle.

Il a largement compris cette fois-ci :

«C'est incroyable...

On est bien chez nous.

Ça a dû vous changer.

Une fois arrivée en France ? »

Je baisse les yeux, fautive quelque part...

Oui, j'ai eu cette chance-là, en effet...

Mais ça c'est une autre histoire... 

Celebratio 

Le splendide lyrisme, à la mesure singulière, qui, dans les années 80, avait imposé en Roumanie, la voix d'un étrange ascétisme intime d'Angela Nache, d'une étonnante acuité dans« Miraculum », et qui se poursuivait dans « Femina » (qui aurait pu être vue comme un manifeste d'orientation esthétique nouvelle, car la poétesse s'attribuait l'initiative d'un courant nommé « femellisme », pas encore mené à son terme), se retrouvent dans sa création française la plus récente. Les attitudes antérieures se retrouvent ici reformulées en de nouvelles visions, plus larges, que la poétesse, vingt ans après, présente dans les volumes « Dolor» et « Célébration, lesquels consacrent le retour à la littérature d'un écrivain qui méritait une place bien définie dans le tableau de la littérature roumaine où la reconnaissance des valeurs dans leurs proportions naturelles se fera un jour prochain. De son œuvre, on a parlé dans le passé. On en parlera encore aujourd'hui, car cette œuvre, si elle n'est pas imposante par la quantité, a le poids des grandes présences esthétiques, qui s'affirme non seulement comme précurseur mais aussi comme auteur d'une construction bien définie, différente et unique. La poétesse dont la place est assurée dans la littérature de son pays d'origine, devrait s'affirmer dans sa deuxième existence littéraire, avec son lyrisme original et impétueux qui est sa marque personnelle indiscutable.

Artur Silvestri, président d'honneur de la « Ligue des Ecrivains Roumains » .

(Quatrième de couverture « Celebratio » 2008.)

 J'ai choisi de rester un écrivain roumain et j'essaie de continuer d'ici mon apport à la culture roumaine comme tant d'autres Roumains très connus en France : Anna de Noailles, Elvire Popesco, Brancusi, Tristan Tzara, Georges Enesco. Victor Brauner, Gherasim Luca, Benjamin Fondane, Cioran, Paul Celan etc...

Mon manifeste littéraire «le femellisme» s'est imposé à moi dès le début.

«Femellisme» vient de femelle, femme, genre féminin, ça veut dire que je me sens égale à l'homme, sans aucune envie destructrice : Mère Universelle, tigresse moderne, Génitrice d'enfants, digne héroïne d'un quotidien si difficile dans certains coins de la planète.

Sans clairvoyance et sincérité, sans émotion, on ne peut plus être un messager viable de la poésie J'ai mis du temps à accepter mes nouvelles racines, que j'approche mes deux pays(d'origine et d'adoption).

Celebratio est un aveu d'amour pour tous les deux car ils ont contribué si merveilleusement à ma naissance et ma renaissance.

Tout cela a pris du temps, j'ai compris que je reste un écrivain roumain, chanceuse d'appartenir à deux cultures riches. Pour cela je vis aujourd'hui en France et je me sens bien car mes amis sont tous devenus franco-roumains ou l'inverse ! » Angela Nache MAMIER    



source: "extrait du journal GARDIOLAREM"
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