Alexeï Vassiliev- le flou précis

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Alexeï Vassiliev- le flou précis

 

  
img375 par vous     

« Pourquoi fixer ce que je vois, là, en cet instant unique

Qui au moment où je « clique »est déjà un instant passé ? »

 

Alexeï Vassiliev

 

 

 

 

 

 

Pour respecter l’esprit de l’artiste je devrais écrire des silences en couleurs, ombres et pénombres.

 

Les paroles d’Alexeï  Vassiliev ont le poids des certains moments où en se passant de paroles ont se retrouve dans une dimension métaphysique du temps et de l’espace outre les déterminations méthodologiques imposées par la nécessité du quotidien.

Ma rencontre avec le photographe a eu lieu   dans la galerie Blue Square qui  abrite du 9 mai jusqu’au début septembre une partie de sa création de la dernière période.

 



D.M. – Alexeï, qu’on le veuille ou pas, au commencement fût la Russie. Quel est l’héritage russe dans ton œuvre ? En posant cette question je pense à deux choses, l’une, l’influence de la spiritualité spécifique à ta culture  d’origine et d’autre part, je pense au fait que l’inventeur de la photographie en couleur, Prokoudine-Gorsky a était russe ? 

A.V. -  C’est sur que l’immensité de l’espace russe que j’ai ressentie lors d’un voyage vers Vladivostok a joué un rôle….. j’étais dans le train depuis trois jours, quatre jours… toujours la même étendue ça ne finissait pas ….. là il y a quelque chose qui se passe…….

Mais Proukoudine-Gorsky que c’est ?

 

D.M. (surprise !)- C’est l’inventeur de la photographie en couleur au début du XX siècle……

 

A.V. – Ah, oui ! Bien sur ! Mais je l’ai découvert à Paris par hasard en entrant dans une librairie. Je me suis dis « c’est quelque chose »………Tu sais, je n’ai pas la mémoire des noms, je ne retiens que les images, tout est image…..

 

« Ne plus se poser des questions. Ne plus penser.

Continuer à voir et à donner à voir.

N’être plus que vue » Alexeï Vassiliev

 

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J’ai l’impression qu’Alexeï s’écrit plus facilement qu’il ne se dit. L’interview démarre avec lenteur comme les romans des grands romanciers  russes, comme une coulée de lave fertile et brûlante. J’évoque Tolstoï.

 

A.V. – Surtout pas Tolstoï !

 

D.M. – Pourquoi ?

 

A.V. – Par ce que je n’aime pas le personnage !

 

Moment de silence. Alexeï est devant moi, évident, abondant en substance et riche en silences.

«Qu’est ce que je vois ?

Pourquoi est-ce que je vois ce que je vois ? » A.V.

  
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D.M. – Etant en Russie tu as été en contact avec la culture Occidentale et ensuite tu t’es installé en France. Quel est l’apport de ce monde ?

 

A.V. – En fait, j’ai fait toute mon évolution  ici, en France. C’est ici que j’ai découvert la photographie.

 

Il ne m’en dira pas plus.

 

M.D. – Tu as étudié à Moscou à l’Institut des Sciences Humaines. Ton rêve était de devenir interprète. Se peut-il que cette vocation qui requiert la réaction simultanée se trouve en germe ta recherche sur le temps ?

 

A.V. – Je n’y ai pas pensé mais je vais y réfléchir...

  

D.M- Les impressionnistes avaient une approche particulière par rapport à la lumière et à l’instant saisi. Aurais-tu des affinités avec ce courant ?

 

A.V. –Il faut savoir que les impressionnistes travaillaient d’après photo tandis que moi je travaille à l’extérieur.

 

Je sais qu’Alexeï prend ses images dans un endroit bien précis qu’il ne souhaite pas dévoiler et que les sujets sont photographiés à leur insu.

  

D.M. -  Il y a des artistes pour lesquels le moment initial, le big bang, c’est l’amour, la joie, la foie, l’élan mystique. Quel est cet instant unique qui détermine  l’appui sur le bouton qui déclanche la prise d’une image ? Serait-ce le temps saisi sous sa forme de « maintenant » comme tu le dis en citant Bergman ?

 

A.V. – C’est possible…..

 

« Prendre le risque de n’être plus que vue,

Et de laisser cette vue être de plus en plus aiguë,

Perçante, étrange, insatiable, incontrôlable,

une vue qui vient de loin, de très profond,

qui vient de moi et me dépasse,

………………………………………….. » A.V.

 

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. C’est une référence au fait que l’homme est seul face à son destin, à la solitude qui habite notre société ou les deux ?

 

« Ils sont là, tout simplement là : insaisissables, irréfutables, furtifs, définitifs, éphémères, éperdus d’éternité……

Ils sont là et ailleurs. Pas au delà. En de deçà… peut-être. » Alexeï Vassiliev 

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A.V. – Quand je photographie mes sujets je ne suis pas conscient d’un possible sens. C’est après que le sens se dévoile. Par exemple, et Alexeï se tourne vers le mur en me montrant l’image la plus proche, ici tu as une petite fille qui sourit. A côté, dans un coin se trouve une tâche noire. Maintenant je me rends compte que la tâche noire représente la menace qui pèse sur la jeune fille innocente. C’est à fur et à mesure que je regarde mes propres photos que les sens se dégagent.

 

D.M. – Tu bouges entre Paris et Moscou. Aurais-tu deux patries nourricières ?

 

A.V. – La Russie est ma seule patrie. J’ai deux nationalités et je suis chez moi à Paris. Le choix que j’ai fait est sans retour.

 

D.M. – Quelle serait la place de la photographie parmi les autres arts ?

 

A.V. – Du moment qu’elle provoque de l’émotion, c’est un art à part entière.

  

D.M. –Peux-tu me parler de tes rapports avec la Russie ?

 

A.V. – Non, c’est trop intime.

 

D.M. – Quels sont tes projets ?

 

A. V. – Des projets j’en ai. J’ai conçu une fresque qui s’appellera Quo Vadis et qui sera monumentale. Elle sera installée dans plusieurs grandes villes. J’ai fait déjà des prises de vues à Pékin. Déjà la fresque sera exposée à l’entrée de la galerie Blue Square à partir de l’automne. Je crois que le monde se dirige vers l’impasse.

  

Je ferme le dictaphone et la conversation s’anime. L’homme se dévoile chaleureux mais pas familier. Il parle avec passionne  de ses projets, du restant de son œuvre en m’expliquant que ce que je voies à la galerie ce n’est même pas un dixième de son travail.

 

Nous nous séparons avec la promesse de nous revoir à la rentrée et de continuer le dialogue commencé par ce beau mois de juillet, à la veille des grandes vacances.

  

Alexeï Vassiliev vit en France depuis 14 ans. C’est à Moscou, où il est né en 1959, qu’il a fait ses études à l’Université des Sciences Humaines. N’étant pas un jeune communiste très orthodoxe, donc « digne de confiance », il n’a pas pu devenir interprète, son rêve de jeunesse. Après deux ans de service militaire au sein de l’Armée Rouge, dont six mois passés dans un bataillon disciplinaire en Sibérie, il a successivement gagné sa vie en travaillant à la télévision, puis à la radio et enfin sur des chantiers et dans des usines.

Après la Perestroïka il a pu enfin exercer sa profession d’interprète et s’est lancé dans la traduction en russe de romans policiers français.

Il est arrivé en France en 1993 et la photographie a fait irruption dans sa vie de manière fortuite.

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