« Sables », la poésie transcende les clivages culturels. Salah Al Hamdani, Marlena Braester (Notes de lecture, Bernard Mazo,

« Sables », la poésie transcende les clivages culturels. Salah Al Hamdani, Marlena Braester (Notes de lecture, Bernard Mazo, dans la revue "Texture")  
  
A l’heure ou le conflit israélo-palestinien ne laisse entrevoir aucune lueur d’espoir, la poésie demeure plus que jamais, pour les partisans de la paix, la seule arme qui peut transcender les clivages ethniques et l’aveuglement mortifère des deux peuples que la haine de l’autre embrase.
Marlena Braster, née en Roumanie, vit depuis 1980 en Israël. Salah Al Hamdani, Irakien lui, est né à Bagdad et s’est exilé en France en 1975. De leur rencontre est né, avec la complicité du peintre Robert Lobet, le projet de « Sables » (Editions de la Margeride)



Voici un livre d’artiste pas comme les autres. Deux voix poétiques, que le conflit sanglant qui déchire la Palestine aurait pu irréductiblement séparer, ont décidé de placer en correspondance leur registre personnel :Salah Al Hamdani choisissant deux textes qu’il avait écrits en arabe et les traduisant avec l’aide de sa compagne Isabelle Lagny, en français, nous permet de lire ces poèmes en arabe et en français.
De son côté, Marlena Braester, qui est francophone et vit depuis trente ans en Israël, a choisi un de ses poèmes écrit en français qu’elle a fait traduire en hébreu par l’un des plus grands poète israélien contemporain : Ronny Someck.
Ainsi réunis par notre langue, nous pouvons lire en arabe et en hébreu les poèmes de ces deux écrivains qui, très symboliquement, témoignent que la poésie est universelle, qu’elle transcende les barrières ethniques et culturelles, qu’elle est la plus belle passerelle entre les hommes de bonne volonté, qu’elle peut enfin faire entendre son chant par-dessus le tumulte meurtrier des armes. Leur livre est rehaussé magnifiquement par les illustrations du peintre Robert Lobet.

Sables
Dans cette plaquette où les illustrations de Robert Lobet esquissent la nudité fascinante du désert, des illustrations inscrites sur un beau et extrêmement mince papier calque translucide, les deux poètes nous donnent à litre des textes brefs et lapidaires. Salah Al Hamdani inaugure le livre, avec une suite intitulée « L’attente et les choses » écrite en arabe, suivi de sa traduction en français en collaboration avec sa compagne Isabelle Lagny où l’on peut lire ces vers : « (…) et une mère me guette par la fente entre les frontières / Faudra-t-il le frémissement d’un songe/pour que mon appel me conduise jusqu’à elle ? (…) ». On aura deviné que la mère dont le poète est séparé depuis si longtemps est aussi le visage emblématique de Bagdad jamais oubliée.
Quant à Marlena Braester, elle nous donne à lire, d’abord dans la traduction en hébreu du poète israélien Ronny Someck, la suite intitulée « Les pèlerins du désert » écrit en français, sa langue d’adoption puisqu’elle n’écrit plus en roumain.
Ce long poème évoque pour nous dans une langue resserrée, dépouillée comme les dunes du désert, ces hommes à la vie ascétique, errants ancestraux de ces territoires immuables, seules espaces de liberté pour leur habitus immémorial : « nous, les pèlerins du désert / - les corps tremblants dans leurs contours-/ nos ombres nous précèdent dans la marche / dans sa veillée diffuse / il a soif le désert l’horizon est si proche (…) – l’horizon de la soif nous appelle ».
Puisse ce livre d’une connivence culturelle unique, où la langue arabe et la langue hébraïque, réunis par notre langue, chantent à l’unisson par-dessus le tumulte des armes annoncer d’autres rencontres qui raviveront la flamme tremblante d’un fragile espoir de paix entre ces deux peuples déchirés.



"La voix poétique de Marlena Braester est d’une grande transparence ; poète de l’interrogation du réel pouvoir de la poésie, laissant le silence vibrer entre les mots proférés, son écriture fragmentée, parfois brisée épouse un lyrisme contenu, voire elliptique. Un imperceptible voile de mélancolie, comme une brisure intime, se révèle dans ses poèmes : « Il avance dans la voix, il a froid dans les mots, / Son visage passe comme la nuit/dans l’épaisseur de la vue./ Il ne s’approche pas il s’éloigne,/ Pourvu que les mots avancent. »"

Bernard Mazo

Critique et essayiste

Né en 1939 à Paris, Bernard Mazo codirige le mensuel de poésie "Aujourd'hui poème". Il est aussi secrétaire général du Prix Apollinaire et membre de l'Académie Mallarmé.

Parmi ses derniers recueils : La vie foudroyée (le dé bleu, 1999). Il figure dans nombre d'anthologies dont La poésie contemporaine de Serge Brindeau, La nouvelle poésie française de Bernard Delvaille, Histoire de la poésie française de Robert Sabatier, La poésie française contemporaine de Jean Orizet parue en 2004.